dimanche 25 novembre 2007

Un extrait, enfin !

Je vous ai beaucoup parlé de mon roman, les Insoumis du Black Moon, mais sans illustrations, comment s’en faire une idée. Je vous livre donc ici un petit extrait de ce que j’ai écris, en espérant que vous me laisserez vos impressions, bonnes ou mauvaises.


Chapitre 15
La menace anglaise


Le maître d’équipage, fort et rude gaillard, était un Ecossais issu d’une mauvaise famille et pourtant entièrement dévoué à son Capitaine. On l’appelait Worthy car il était brave et vaillant même si sa simplicité lui avait valu un second surnom : Plain Worthy. Cela ne lui déplaisait cependant pas tant qu’il resterait encore le seul quartier-maître à bord. Mais, ce soir là, alors qu’il était de quart avec Guelnec, un breton de pure souche et néanmoins peu recommandable lui aussi, il avait accueilli le retour tant attendu du brigantin avec beaucoup d’empressement.
Fischstone, qui commandait le Little Jack, avait reçu l’ordre de naviguer discrètement dans les eaux de la mer d’Irlande afin d’assurer les arrières du Capitaine Stew qui ramenait alors le Royal Proud et de prévenir de tous mouvements suspects de la part de ces maudits anglais. Or, il s’était avéré qu’il avait aperçu au large de Blackpool, à travers sa lorgnette, les voiles menaçantes d’un vaisseau de guerre britannique.
La nouvelle de Fischstone, rapportée par Worthy, n’avait pas vraiment surpris le Capitaine Stew même si celle-ci était inquiétante. Il avait néanmoins quitté ses invités précipitamment pour regagner le bord du Black Moon.
Et sitôt son conseil de guerre réuni, il demanda prestement à Fischstone :
- Combien de navires dites-vous avoir aperçu ?
- Trois vaisseaux de guerre, Capitaine. Ils serraient le vent au plus près.
- Voilà ce qui les ralentira un peu, commenta Stew.
- Je dirais bien qu’ils nous ont envoyé deux vaisseaux de guerre puissamment armés ainsi qu’un brigantin tout aussi disposé à nous arraisonner.
- Mais c’est l’Amirauté toute entière qui se déplace ! s’exclama avec ironie le Capitaine.
- Que comptez-vous entreprendre ? lui demanda alors son quartier-maître inquiet. Nous ne pouvons fuir avec le Royal Proud, il n’est pas en état de naviguer.
- C’est pourtant ce que nous allons tenter, répondit le Capitaine Stew avec beaucoup d’assurance.
- Vous ne le pensez-pas, mon Capitaine, ce serait folie et suicide ! s’insurgea Worthy.
- N’est-ce point là le raisonnement des Anglais qui vient de sortir de votre bouche, Plain ? répliqua le Capitaine à son quartier-maître désabusé.
- Assurément, et pour une fois ils n’auraient pas tort de le croire.
- Et c’est bien précisément pour cela qu’ils viennent nous narguer, forts de leur supériorité et de leur insolence, mais c’est sans compter sur notre audace et notre arrogance.
- Ne pourrions-nous pas les tenir en respect avec nos canons ? demanda alors Fischstone prêt à se battre jusqu’à la mort.
- Ce serait un combat déloyal compte tenu de leur puissance de feu supérieure à la nôtre et de plus, ce serait leur livrer le secret de notre repaire, lui répondit gravement le Capitaine. Je ne puis accepter le combat dans de telles conditions. Il nous faut bien fuir la menace anglaise, nous n’avons malheureusement pas d’autre choix.
- Je m’en retourne siffler le branle-bas d’appareillage, conclut Worthy déjà à pied d’œuvre.
- Et vous Fischstone, préparez le Royal Proud, ordonna le Capitaine. Nous doublerons le Malin Head par l’Ouest, ainsi nous devrions trouver une mer libre dans les eaux de l’Atlantique.

La nuit était épaisse, impénétrable. La brume semblait tomber des flancs des coteaux pour se marier avec les eaux troubles du lac.
Chacun était à son poste d’appareillage, les gabiers dans les mâtures, les matelots courbés sur les cabestans, les lamaneurs installés sur les bossoirs et le pilote à la barre. Le vent était faible, à peine suffisant pour gonfler les voiles, mais le Capitaine Stew avait ordonné que l’on hisse les voiles de hune, civadière et voiles d’étai afin de prendre le vent de travers. Il ne comptait pas seulement sur ce vent léger de secteur nord-nord-est mais également sur le jusant qui créait alors un courant porteur vers le large.
Tous les feux avaient été éteints et l’ordre de ne faire aucun bruit avait été proclamé sur les deux navires qui quittaient maintenant les flots de la petite anse. Le Black Moon naviguait en tête afin d’assurer une certaine protection au Royal Proud plus lourd qui le suivait. Le passage de l’anse était délicat pour ses hauts fonds, tout le monde à bord le savait et chacun avait dû damner le Capitaine Stew lorsqu’ils avaient reçu l’ordre d’appareiller dans ces conditions. Les lamaneurs inspectaient leur fil avec grande attention et par moment, on pouvait les entendre discrètement citer les chiffres relevés : 76 pieds à tribord, 88 pieds à bâbord. Alors, par un ingénieux système de fanions qui indiquait les manœuvres à suivre, le pilote pouvait faire passer le navire entre les écueils sans qu’un seul mot ne soit prononcé. L’exercice, extrêmement dangereux, eut été parfaitement inutile et insensé s’ils n’avaient pas à fuir dans la précipitation un ennemi sournois, et c’était en aveugle que les deux bâtiments sortirent de la crique des Moncreiffe.

Le Capitaine Stew tenait la barre du Black Moon avec aplomb et nul n’aurait tenu d’ailleurs à être à sa place en ces circonstances. Son regard se perdait à l’horizon malgré le voile de brume qui le rendait amblyope. Il avait fait jeter précautionneusement à la mer des abats de poisson et de viande qui devaient laisser une trace visible mais éphémère pour le Royal Proud qui suivait dans le frimas. C’était un moyen bien à lui d’indiquer la trace à suivre au vaisseau à la traîne.
Il connaissait bien la stratégie anglaise et son jeu consistait donc à passer entre les mailles qu’il espérait lâches. Il savait, pour l’avoir expérimenté maintes fois, qu’un navire bien armé devait être posté au niveau de la Pointe Patrick fermant ainsi la passe Sud du Canal. Cela n’était évidemment pas sa route, mais il lui fallait encore passer à la barbe des deux autres bâtiments certainement embusqués à l’heure actuelle dans la Firth of Lorne.
Il pouvait presque entendre avec son accent de faux lord l’Amiral le traiter de chien bâtard, le voir même brandir haut son fer qui lui servait de main droite. D’ailleurs, il aurait bien rabaissé le caquet à ce chien d’anglais et lui aurait réglé son compte du même coup, mais il devait penser avant tout à protéger sa fuite en laissant de côté son orgueil. Il saurait bien défendre, le jour venu, son honneur face à cette Amirauté Anglaise qui l’avait destitué de son rang.
Et les lamaneurs annoncèrent dans la nuit 48 pieds à tribord. Il vira aussi sec de bord mais ne put éviter de labourer le fond. Se sachant cependant hors de danger, sa pensée alla directement au Royal Proud au tirant d’eau plus important que son brick. Il ordonna alors de lancer les abats plus au loin à bâbord afin de prévenir tout désagrément au trois mâts qui les suivait.

Les deux navires, désormais dans le fjord de Lorne, contournaient déjà l’île de Kerrera par le nord-ouest. Le Capitaine Stew avait jugé bon d’emprunter le bras de mer le plus large, tant par sécurité dans ce brouillard épais que par la possibilité de croiser à bonne distance les navires anglais s’ils s’étaient aventurés jusqu’ici. Puis, toujours accompagnés de la brume, ils doublèrent Bach Island, délaissant sur leur gauche la grande baie de Barnacarry, et la petite île au nom très local de Dubh Sgeir. Le fjord commençait alors à s’élargir, offrant aux deux bâtiments en fuite une mer libre. Le brouillard était cependant moins dense au niveau de Frank Lockwood’s Island, et la silhouette du Royal Proud se dessinait maintenant à seulement quelques encablures. C’est alors que la vigie de hune alerta : « voile à bâbord ». Le Capitaine Stew, laissant la barre à son second, pointa fiévreusement sa lunette dans la direction annoncée. Il y avait effectivement un navire qui remontait le lit du fjord en louvoyant et il ne pouvait qu’être anglais. Le Capitaine ordonna prestement d’amener les voiles d’étais et de hisser toute la voilure en vent arrière. Estimant les dangers du fjord derrière eux, il pouvait dès à présent profiter au mieux du vent qui avait forci pour prendre de la vitesse. Mais sans doute les Anglais s’aperçurent-ils de la manœuvre de débordement des fugitifs et dans un geste désespéré ils tirèrent une bordée sans conséquence.
Fischstone qui commandait alors le Royal Proud avait ordonné d’alester le navire afin de lui permettre de filer plus rapidement malgré sa mâture tronquée. Toutes les pièces non indispensables avaient été jetées par-dessus bord et c’est ainsi qu’étambot, ferrures, ancres de rechange et même fûts de canon de la troisième batterie furent abandonnés. Parmi les objets abîmés en mer figuraient également des barillets de poudre accompagnée de mitraille rattachés les uns aux autres par une longue mèche et sur lesquels il avait fait fixer trois longues perches. Par chaque bord, les matelots épandaient à la surface de l’eau une huile épaisse puis, afin d’attirer vers eux les anglais, Fischstone avait fait suspendre à chacune de ces perches des fanions allumés. Flottant ainsi dans le sillage du trois-mâts, Fischstone attendait à bonne distance que le navire anglais s’en rapproche, et c’est lorsque les poursuivants britanniques se rendirent compte de la supercherie qu’il bouta le feu au leurre par un tir ajusté de canon.

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